Jalen Smith montant au dunk contre les Utah Jazz

Rick Carlisle, la star du petit écran

Lecture audio de l’article disponible ici

Chaque année, autour de mi-novembre c’est un peu devenu une tradition sur ce site : faire un bref résumé de ce que Carlisle concocte en attaque (principalement parce qu’il ne concocte pas des masses en défense) : des tendances, des systèmes, etc…

Cette année deux choses me paraissent assez nouvelles (plus prononcées que la saison dernière à minima), en plus de jouer un rôle important dans la réussite offensive de l’équipe, je vais essayer de vous raconter tout ça !

Autocritique et sources

PacersTalk s’appuie sur très peu de sources ; d’abord à cause du manque de contenu flagrant pour couvrir Indiana (la majorité du contenu existant consistant à suivre l’équipe au jour le jour), ce qui est soit une auto-critique ; mon contenu peut être imprécis, biaisé ou manquer certains points.
Pour essayer de minimiser ces problèmes, les articles sont souvent préparés bien en amont, avec une phase de recherche et de vérification qui est de loin ce qui demande le plus de temps, d’autant plus que ma connaissance théorique des systèmes et de la théorie reste assez mince. Mais ça peut, et ça reste peu suffisant pour considérer mes articles comme des descriptions abouties et précises, voyez ça plutôt comme des introductions en la matière.

Cet article en revanche, existe en partie grâce à l’excellent podcast « The Dunker Spot » de Nekias Duncan et Steve Jones où a été invité Caitlin Cooper (lien spotify ici) et où elle (Caitlin) est revenue de manière très détaillée sur certains points de la stratégie d’Indiana, venant directement confirmer et préciser certaines de mes observations. Je tiens donc à créditer ce podcast dans mon processus d’écriture ; je ne peux que vous conseiller d’aller l’écouter si vous voulez des discussions plus techniques et abouties que cet article !

Bon commençons !

La révolution des écrans

Il y a cette observation, assez commune autour de cette équipe, je suis sûr que vous l’avez déjà entendue : « Y’a personne qui sait poser des écrans dans cette équipe ». Et ne mentons pas, cette affirmation ne sort pas de nulle part, passer de Sabonis l’un des meilleurs poseurs d’écran de la ligue à Myles Turner… Autant dire que la différence se fait sentir ! Même Jalen Smith, Isaiah Jackson, Obi Toppin et Aaron Nesmith ne sont clairement pas des joueurs très physiques et peinent à occuper l’espace.

Alors pourquoi j’en parle ? Parce que paradoxalement, on observe en surface un paradoxe : Indiana joue énormément sur Pick & Roll (=écrans), l’équipe est même l’une voire celle qui utilise le plus cet outil.
(les stats sont celles en date au 19 novembre 2023 depuis la section dédiée du site officiel de la nba)

  • T.J. McConnell est le joueur qui joue le plus sur écran balle en main de la ligue, et de très loin même : 56% de ses attaques estimées s’appuient sur l’aide d’un écran.
  • Andrew Nembhard est lui 8ème selon les même critères, avec 46%.
  • Pour finir Tyrese est 13ème, avec 42% de ses attaques qui se font grace ou avec un poseur écran.

Les trois meneurs d’Indiana dominent clairement cette statistique là : leur jeu est intimement lié au jeu d’écran. Ce qu’on peut dire de cela c’est aussi que comme le début de l’attaque commence quasi exclusivement par eux sur jeu demi terrain, Indiana repose très fortement sur les écrans pour se créer des occasions.
Maintenant si on regarde du coté des poseurs d’écrans d’Indiana :

  • Myles Turner est utilisé comme poseur d’écran dans 28% des attaques de l’équipe quand il est sur le terrain, ce qui le classe 8ème dans la ligue.
  • Jalen Smith quant à lui est 24ème avec 21% des attaques où il est utilisé comme poseur d’écran.

Des chiffres tout à fait raisonnables en somme, même si on repère une certaine asymétrie par rapport aux pourcentages de nos meneurs : Le jeu de ces derniers est beaucoup plus centré autour des écrans que celui de nos deux intérieurs, qui en plus sont nos deux meilleurs poseurs d’écran.
Et déjà on commence à voir des incohérences arriver. Même si les statistiques des autres poseurs d’écrans de l’équipe ne sont pas disponibles car l’échantillon est trop petit, on devine assez aisément qu’Indiana se repose aussi beaucoup sur ses ailes pour poser des écrans. Pourquoi autant utiliser ces joueurs alors qu’il sont assez évidemment pas très bon dans cet exercice.

Vous êtes déjà dans le flou ? Attendez parce que c’est loin d’être fini (si vous êtes perdu⋅e⋅s, je vous retrouve dans la conclusion de cette première partie, tout sera plus clair). Pour compléter ce début d’analyse où l’on remarque bien qu’Indiana se repose énormément sur les écrans, on peut vérifier l’efficacité de ces pick & roll, avec une donnée au nom barbare mais qui est pourtant simple à comprendre : le PPP (points per possession). Assez simplement le PPP vient mesurer combien de points un certain joueur (ou équipe) inscrit en moyenne sur une possession. Appliqué aux écrans, cette statistique permet de mesurer combien de points en moyenne un joueur permet de créer quand il est impliqué dans un pick & roll (en tant que porteur de balle ou de poseur d’écran peu importe).
Quand applique cette statistique aux joueurs d’Indiana, on obtient des résultats surprenants :

  • Myles Turner permet de générer en moyenne 1,59 points par pick & roll quand il est utilisé en tant que poseur d’écran. 4ème meilleure efficacité de la ligue parmi les poseurs d’écrans. Il est même premier si on ne conserve que les joueurs avec un volume important d’écrans.
  • Jalen Smith génère 1,53 points de moyenne par pick & roll en tant que poseur d’écran, il est 6ème de la ligue parmi les poseurs d’écrans.
  • Tyrese Haliburton crée en moyenne 1,33 points par pick & roll où il est utilisé comme porteur de balle, ce qui le classe 6ème meilleur efficacité au sein des porteurs de balles, il est deuxième si on ne se concentre que sur les gros volumes

Je pourrais aller plus loin mais c’est suffisant. Indiana ne possède au mieux que quelques poseurs d’écrans médiocres, mais pourtant est une des équipe qui joue le plus sur pick & roll et encore plus bizarre, elle est de loin l’équipe la plus efficace dans ce domaine. Encore plus ironiquement, Turner et Smith sont plus efficace sur pick & roll que Domantas Sabonis lui même, ex-poseur d’écran attitré de l’équipe. Comment est-ce possible ?

Ne pas poser d’écran

Alors oui, vous pourriez vouloir m’insulter après le nom de cette sous partie, ce serait parfaitement compréhensible, mais il reste un fond de vérité dans cette affirmation, et encore plus elle doit plutôt bien résumer le cheminement de pensée de Rick Carlisle dans cette histoire.
« Si personne ne sait poser d’écran, pourquoi poser des écrans ? ». Quand nos cerveaux d’humains lambdas se diraient alors sûrement « bah oui, autant essayer de privilégier autre chose » (le mien c’est pendant longtemps dit ça), notre coach lui a vu l’autre solution :

Le but d’un écran et d’un jeu sur pick & roll c’est de créer une différence qui avantage l’équipe, théoriquement en ralentissant le défenseur en mettant un gros obstacle sur son passage (vulgairement), mais voilà, ce système étant le plus utilisé de toute la nba, tout le monde le connait et a appris à le défendre : que ce soit en le contournant, en changeant de joueurs pour les défenseurs, en appliquant des défenses particulières. Bref, la pose d’un écran est de moins en moins centrale dans les pick & roll, et les différences maintenant résultent plus de comment le porteur de balle arrive à profiter de ce cours laps de temps où les défenses doivent s’adapter. Et là revient la même question : pourquoi poser des écrans ?

Et voilà c’est là que Carlisle a renversé la norme : l’intention de poser l’écran est plus importante que le contact physique en lui même, donc juste se positionner pour poser un écran et ne pas le poser requiert aux défenseurs de s’adapter tout autant que s’il y avait un contact (surtout que les défenses s’attendent à un écran et commencent à s’adapter en amont du pick & roll)

Dans cet exemple, Buddy Hield part au pick & roll avec Jalen Smith, mais en réalité Jalen Smith ne cherche même pas à poser d’écran, à peine le sniper arrive vers lui que notre intérieur fonce vers le panier. LeVert qui défend Buddy cependant par peur contourne Jalen Smith pour esquiver un potentiel écran (qui n’arrivera jamais), mais ce simple décalage à partir de rien en réalité aura suffi à notre arrière pour une faire une passe facile à Smith qui finit en dunk. C’est ce qu’on appelle un « ghost screen », c’est une feinte d’écran tout simplement.

L’autre avantage un peu moins évident à cela c’est que Stix n’a pas besoin d’attendre que Caris LeVert soit rentré dans son écran pour agir, à peine il fait la passe à Buddy Hield qu’il fonce directement dans la raquette. Donc un faux écran qui permet de générer un avantage tout comme un écran mais qui en plus permet au poseur d’écran de prendre de l’avance et de proposer une solution très rapide au porteur de balle, c’est tout benef !

Mais le point positif de ces ghost-screens n’est pas juste qu’ils contournent le problème d’un effectif ou personne ne pose d’écran, il y a un autre grand point positif, et c’est là qu’on reconnait le génie de Carlisle en attaque : ne pas vraiment poser d’écran c’est aussi ne pas stopper le jeu ni le mouvement de balle, ce qui est la plus grande force de cet effectif. Tu peux plus vite réagir, reconstruire derrière, enchainer les passes, bref tout ce jeu de faux écrans permet de créer des situations d’avantages tout en gardant la dynamique de l’équipe et la fluidité de son jeu.

Mais voilà, tout est trop beau, ne pas faire d’écran c’est mieux que d’en faire, ça apporte que des bienfaits… Évidemment c’est pas si simple : déjà un vrai écran, bien physique, bien placé ça permet de créer de plus grosses différences (notamment pour le porteur de balle), mais surtout les défenses ne sont pas débiles, à partir d’un moment si tu fais que des faux écrans, plus personnes va mordre au feintes de pick & roll et tout le monde va s’adapter en concurrence. C’est donc là qu’arrive le 2ème point de la nouvelle stratégie d’Indiana.

L’ordre dans le chaos

Si tu peux pas faire toujours la même technique en boucle sous peine de voir les défenses s’adapter, il faut ruser. De toute manière le basketball, peu importe l’age ou le niveau reste un jeu d’adaptation : un joueur ou une joueuse qui attaque que de la main droite ? Tu n’as qu’à le ou la forcer à attaquer vers la gauche et c’est gagné. Au basket la clef c’est être imprévisible, ou alors il faut être tellement technique et fort que personne n’a jamais réussi à trouver comment s’adapter. Carlisle dans l’optique d’être imprévisibile a fait le choix d’embrasser le chaos total.

Si le terme « Chaos » vous rend perplexe, regardez cette action parce que vous allez comprendre très vite : en une simple action, les 5 joueurs de l’équipe ont été impliqués dans un pick & roll, que ce soit en tant que porteur de balle ou poseur d’écran. Même Buddy Hield est allé poser un écran, tandis que Bruce Brown est parti pour faire un écran avant de très vite se raviser et partir se replacer ligne de fond. Jalen Smith a même fait un mini décalage pour faire chier Delon Wright dans une sorte de ghost screen très minime.
La finalité c’est que défendre tout ça c’est un joli bordel, est ce que ce joueur va poser un réel écran ? Un faux ? Est ce qu’il va couper avant ? C’est absolument impossible de s’adapter quand tu ne sais même pas ce qu’Indiana veut faire. Il est là le chaos : en réalité, Indiana n’a pas forcément de système figé dans ce genre d’actions, c’est simplement le fait de toujours être en mouvement et de proposer quelque chose, que ce soit un déplacement, une pénétration, un écran, qui va créer des occasions. Au final, l’important c’est pas l’écran de Buddy Hield au millieu de l’action mais plus l’incertitude qu’il créé : est ce qu’il va le jouer ou bien faire semblant, mais surtout est ce que son coéquipier juste derrière en position d’écran va faire pareil ou autre chose, c’est un enfer pour toutes les défenses.
Mais si ce chaos est si dur à mettre en place c’est pour une grosse raison : on ne sait jamais trop à l’avance ce que le poseur d’écran va faire. Alors oui c’est le point clef qui permet d’empêcher les défenses de s’adapter, mais de l’autre ça veut aussi dire que ton porteur de balle quand il voit un écran arriver il ne sait pas vraiment ce qu’il va se passer non plus avant le dernier moment. Et ça c’est nouveau, sous Carlilse comme nulle part ailleurs c’est le poseur d’écran qui mène le jeu sur pick & roll, pendant que le porteur de balle s’adapte, prenant de revers toute la nba sur ce point.

Donc c’est sûr que t’es bien content d’avoir dans tes rangs autant d’excellents passeurs dans cette équipe, ça marche du tonerre avec Tyrese, T.J., tu peux même le tenter avec Hield, Nembhard ou BBrown en porteur de balle. Mais de toute manière si l’écran ne créé pas la différence attendue c’est pas grave parce qu’il y aura forcément un joueur ouvert coté faible, pendant qu’un autre repart poser un écran et pendant qu’un troisième coupe vers le panier.

Conclusion

C’est une approche clairement peu commune qu’emprunte Carlisle actuellement, prenant à contre courant les normes actuelles en terme de stratégie offensives, en imaginant une stratégie qui corresponde au mieux à nos forces plutôt qu’en en choisissant une qui y corresponde partiellement.
Il en faut de la créativité et de l’intelligence pour réussir à amener cette jeune équipe d’Indiana jusqu’à la place de meilleure équipe offensive de la ligue (voir de l’histoire, en attendant le match d’Orlando, avant lequel j’écris ces mots), en construisant une stratégie sur mesure pour l’équipe.
Quelque chose me dit que je ne serais pas surpris si cette utilisation des écrans et du chaos n’inspirerait pas d’autres coachs dans le futur tant elle semble efficace et parfaitement adaptée à une équipe qui adore courir et se faire la passe.

Regarde les Pacers la nuit, écris le jour, domirai demain. C’est moi qui gère le site web et les réseaux sociaux du projet. Queer.